Biomimesis

Naturellement génial !

Coopération et adaptabilité (suite)

Nous avons vu dans un précédent article (voir ici) que la compétition fait le tri parmi les espèces en sélectionnant celles qui sont les mieux adaptées. Dans des périodes d’instabilités (ou de forte croissance) où l’environnement évolue rapidement, ce sont les individus (organismes) les plus adaptables qui survivent et prolifèrent. Par contre, les individus les mieux adaptés a un environnement précis sont en danger quand cet environnement change, car adaptés à un environnement qui n’existe plus et donc inadaptés au nouvel environnement. C’est la différence entre adapté et adaptable. Lorsque l’environnement est plus stable, les individus peuvent mettre en place des stratégies de coopération qui demandent un long effort et du partage d’information (de la confiance).

On comprend ainsi la stratégie des amibes du terreau (issu du live de François Roddier) :

Lorsque la nourriture est rare, la population stagne et l’environnement reste stable. Pour arriver à progresser, nos amibes choisissent une politique de solidarité : elles s’auto-organisent en mettant toutes leurs ressources génétiques en commun et coopèrent afin de s’adapter au mieux à la situation actuelle. Par contre, lorsque la nourriture est abondante, la population augmente exponentiellement, entraînant une évolution rapide de l’environnement. Pour faire face à cette évolution rapide, nos amibes choisissent une politique individualiste : la division cellulaire. Chacun garde son héritage génétique, mais tous ces héritages sont en compétition. La sélection naturelle choisira parmi eux, ceux qui sont les mieux adaptés à la nouvelles situation.

La sélection naturelle peut agir de deux manières différentes.

Lorsque l’environnement est fortement variable et incertain, la sélection favorise l’adaptabilité. Ce sont les plus petits organismes, plus adaptables, qui s’en sortent le mieux. Ces organismes biologiques se reproduisent rapidement et peuvent se disperser plus facilement. Les biologistes parlent de sélection r.

Les dinosaures ont fait place aux petits mammifères après une forte perturbation de leur environnement suite à la chute d’une météorite. Les plantes pionnières qui envahissent une nouvelle niche écologique, par exemple au moment d’une mise en jachère d’un champ après un labourage complet (forte perturbation), suivent ce mode. La stratégie de ces premiers types de plantes se résume à transformer aussi rapidement que possible les éléments nutritifs, l’eau et l’énergie solaire reçue pour croître et produire beaucoup de graines. Ce sont des plantes annuelles, qui ne prennent pas la peine de s’enraciner l’hiver ou de recycler leur matière organique parce que leur heure de gloire est courte. Stratégie de l’adaptabilité et sélection r. En quelques années, elles vont être ombragées par des buissons vivaces et des arbustes plus efficaces et durables, un écosystème de type II. Cette stratégie de type I permet de se développer vigoureusement et d’envahir très rapidement tous le territoire disponible en consommant son capital écologique jusqu’à l’apparition de l’écosystème de type II. Les écosystèmes matures tels que les forêts qui viennent après le type II, sont basés sur des principes d’optimisation de leur production organique. Les forêts recyclent tous les « déchets », utilisent l’énergie et les matériaux de manière efficace, utilisent des stratégies de diversification et de coopération pour puiser dans leur habitat sans le ruiner. Pour les écologues ces communautés sont de type III, très bien adaptées et soumises à la sélection K.  Mais si un changement important d’environnement survient, les grands arbres disparaissent et c’est le retour des petits organismes adaptables.

Les entreprises n’échappent pas à ces types de sélections qui ne sont pas propres aux organismes biologiques mais plutôt propres aux systèmes complexes, aux ensembles d’éléments en interaction (qui échangent de l’information), quels qu’ils soient. Un environnement stable favorise la croissance économique avec formation de grosses entreprises. Parfaitement adaptées au marché, elles sont efficaces et productives. Mais peu agiles et adaptables, une forte perturbation peut les déstabiliser. Elles tentent alors de se diviser en plus petites entités, ou disparaissent laissant la place à un ensemble foisonnant de start-up ou de petites entreprises, agiles et adaptables. Ces petites entreprises sont moins efficaces et productives. L’économie est ralentie. C’est l’équivalent de la sélection r ou les écosystèmes de type I. Certaines entreprises s’en sortiront bien, grossiront et deviendront plus efficaces. L’économie sera à nouveau en croissance. C’est le passage à la sélection K et vers un écosystème plus mature de type II voir III. L’économie est donc ponctuée de période d’effondrement des entreprises, suivit de bulles économiques et de périodes de stabilités.

Domaines-Ising

La fragmentation en petites unités suite à un changement de conditions environnementales favorise l’adaptabilité

Au niveau des états on peut faire la même analogie. En France, prendre des décisions économiques courageuses pour faire repartir fortement l’activité est un défi. Le monde en crise (ou en transition) change. Faire évoluer l’énorme réseau d’acteurs économiques, sociaux, administratifs et associatifs, tous interdépendants, par des décisions politiques qui viennent d’en haut revient à faire s’adapter un diplodocus à la disparition de son environnement habituel par la chute d’une météorite de près de 10 kilomètres de diamètre. Cela ne marche pas ! L’évolution, qui nécessite la coopération entre les différents partenaires, est lente puisque basée sur la confiance qui est difficile à établir. Le temps est compté. La stratégie K n’est pas pertinente. Le changement viendra par la sélection r, soit par les individus ou petits groupes d’individus, par les start-up et PME, par des petites entités, par des associations de terrain, etc. Bien sur avec l’individualisation vient la multiplication des mouvements contestataires de l’ordre en place qui n’est plus approprié. Le risque de récupération par les mouvements extrémistes religieux ou politiques augmentent. Mais en même temps on ne compte plus les initiatives locales originales, les petits business, les start-up innovantes et la décentralisation qui est en marche (voir l’article une révolution est en marche).

Et que dire de la construction de l’Europe, fruit de l’après guerre et des trente glorieuses, période de relative stabilité, ou l’union, la coopération était possible. Malgré les bouleversements socio-économiques actuels, l’Europe grossit ( 28 états membres et 500 millions de personnes) et devient de moins en moins agile, de moins en moins adaptable. Si les changements continuent et s’accélèrent, on peut conjecturer que l’Europe ne sera plus capable d’évoluer, car trop lente, et se restructurera en se fragmentant en unité plus petites, comme se fut le cas pour l’empire romain, les empires coloniaux ou plus récemment le bloc soviétique. Après une macroévolution viendra le temps de la microévolution. Une période très difficile suivra alors pour une majorité de personnes.

Une autre stratégie, celle de la coopération forte gagnante-gagnante et intime, nommée en biologie, symbiose, est  possible. Dans le cas de la coopération symbiotique, l’ensemble des entités se comporte comme un seul organisme, les différentes entités gardant leur gènes respectifs. C’est le cas du lichen, symbiose entre une algue unicellulaire, un champignon et des bactéries. Dans ce cas l’évolution ne se fait plus au niveau de chaque entité, mais au niveau du groupe entier. On peut rapprocher la coopération symbiotique du fédéralisme. Les états coopèrent fortement l’uns avec les autres formant les Etats-Unis d’Europe mais gardent leurs propres cultures, leur propres identités. Mais la tâche est énorme et le temps avant l’effondrement est compté. Il faut mettre en place une entraide, une solidarité économique, fiscale, gouvernementale, et sociale. Si l’Europe saura et aura le temps d’évoluer pour s’unir réellement, l’avenir nous le dira…

dinosaures

Les gènes sont le moyen de mémoriser de l’information au sein des espèces biologiques. La culture joue le même rôle que les gènes chez les sociétés humaines. La sélection de parentèle joue également son rôle dans les sociétés humaines mais au niveau de la culture. Chaque individu privilégie la coopération avec les personnes qui lui sont le plus proche culturellement, avec pour conséquence le rejet de l’autre, de celui qui est différent. Je précise ici, que l’homme possède un libre arbitre grâce à son cerveau évolué, et peut décider de se laisser ou non guider par les tendances de rejet de l’autre. Il est aussi libre de voir l’autre comme un autre soi et considérer que nous faisons tous partie d’une même humanité. Néanmoins, quand les temps changent, que des bouleversements économiques et culturels surviennent, la sélection de parentèle sous-jacente peut prendre de l’importance par rapport aux forces de cohésion issues de la coopération, de l’entraide sans condition mises en place en période de calme et de prospérité économique. Les discriminations et actes honteux de xénophobie augmentent.

 

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This entry was posted on 23 février 2015 by in Biomimétisme.