Biomimesis

Naturellement génial !

Coopération et adaptabilité

Comme le dit Jean-Marie Pelt dans son livre passionnant La Solidarité chez les plantes, les animaux, les humains : “La coopération crée, la compétition trie”. La coopération, c’est l’entraide, la symbiose, le partage de gènes et d’informations, la solidarité, qui est créatrice, permet d’évoluer, de muter, de se réinventer. La compétition, c’est la sélection du plus adapté à son environnement, du plus apte à durer, de celui ou ceux qui ont gagné un avantage concurrentiel. Au niveau de l’évolution globale, sur le long terme, ces deux stratégies sont indissociables. Pas d’invention sans coopération et pas de sélection de l’innovation différenciatrice sans compétition. Mais à plus court terme, quelle stratégie employer ? Y en a t’il une meilleure que l’autre ? Le capitalisme libéral a tranché très nettement en faveur de la compétition débridée, faussement justifiée par les travaux de Charles Darwin. Dans la nature, c’est la loi du plus fort. Alors sur les marchés, il doit en être de même ! Mais voilà, Darwin n’a jamais parlé de la loi du plus fort ! Darwin a fondé sa théorie sur le principe de la loi du mieux adapté. Or la coopération est une stratégie efficace pour faire face à son environnement et augmenter ses chances de survivre. Jean-Marie Pelt en donne de nombreux exemples dans son livre.

Mais est-ce convainquant pour une stratégie de court ou moyen terme ? Et avec qui coopérer ?

Suivons une abeille sortant de la ruche. Celle-ci est en quête de fleurs à butiner. Elle explore les environs sur quelques kilomètres. Une fois une source de nourriture trouvée, on pourrait s’attendre à ce que cette petite abeille garde cette information pour elle, compétition oblige ! En réalité elle retourne directement à la ruche pour communiquer à ces petites camarades, par une danse digne de Beyonce, l’emplacement exact du festin. Ce comportement altruiste n’a longtemps pas été compris car il semblait contraire au lois de la compétition. Il faudra attendre Hamilton et Price, en 1970, pour que soit démontré que le degré d’altruisme est directement proportionnel aux nombre de gènes communs entre individus. Toutes les abeilles d’une ruche ont une même parente, la reine mère. Les biologistes ont donné le nom de sélection de parentèle à ce type de comportement.

abeille coopérationOn retrouve la sélection de parentèle à la fois chez les végétaux (même si moins souvent étudiée), les animaux, les champignons, etc.

Justement !

 zones mélanisées sur bois mort ( merci à saulecauseur.org pour l'image)
zones mélanisées sur bois mort ( merci à saulecauseur.org pour l’image)

Les champignons, qui se nourrissent de la lignine du bois, sont en compétition féroce. Malgré l’abondance de matières premières, les champignons lignivores se disputent chaque centimètre carré de bois mort. Lorsque les filaments du mycélium d’un champignon rencontrent, en explorant le bois, les filaments d’un concurrent de la même espèce ou non, celui-ci accumule de la mélanine dans la zone frontalière pour former une barrière étanche, véritable mur de Berlin. Ces zones mélanisées délimitent des territoires au sein desquels le champignon s’octroie l’exclusivité de l’exploitation des ressources. Pourtant, on observe également un comportement altruiste chez les champignons. Lorsqu’un champignon rencontre le mycélium d’un autre individu de la même espèce les frontières deviennent poreuses. Si celui-ci est génétiquement proche alors les filaments pourront se mélanger et même fusionner. Les deux champignons vont alors coopérer pour exploiter la ressource ensemble. ( Pour en savoir plus, je vous conseille le très bon livre  Ecologie des champignons de G. Durrieu.)

Le choix de coopérer est donc aussi affaire de ressources.

Plus spectaculaire, voici l’amibe du terreau qui illustre bien la relation entre ressource et comportement altruiste ou individualiste (voir vidéo ci-dessous). Dans son livre jubilatoire, Thermodynamique de l’évolution, François Roddier nous explique le comportement de ces amibes:

Lorsque leur nourriture est abondante, elles se reproduisent par division cellulaire comme les bactéries. La transmission d’information est alors purement verticale sans échange horizontal. Ce mode de reproduction privilégie la compétition entre les descendants. Il n’y aura pas de sélection de parentèle.

Lorsque leur nourriture est moins abondante, elles se reproduisent par accouplement entre deux amibes. Il s’agit d’une reproduction sexuée entrainant un certain échange horizontal d’information. Cela entrainera des effets de sélection de parentèle.

Ce qui devient spectaculaire, c’est lorsque la nourriture devient rare. Les amibes émettent un signal de détresse. Alors qu’elles suivaient un comportement individualiste, vivant chacune leur vie d’amibe indépendante, au signal, elles changent de stratégie.

Les amibes se rassemblent toutes pour former un organisme multicellulaire qui prend l’aspect d’une limace. Solidaires les unes des autres, les dix à cent mille cellules qui forment cette limace coordonnent alors leur efforts. La limace rampe vers la lumière. A la limite de l’épuisement, la limace s’arrête et se redresse. Ses cellules se différencient, formant une longue tige, appelé pédicelle, au bout de laquelle se gonfle une capsule de spores. Alors que la limace meurt, la capsule éclate et les spores se dispersent, donnant naissance à de nouvelles amibes dans un environnement que la limace “espère” meilleur. Dans ce cas toutes les ressources génétiques sont mises en commun, maximisant la coopération entre descendants, donc le phénomène de sélection de parentèle.

Ce comportement fortement altruiste, car des centaines d’amibes se sacrifient pour la survie de l’espèce et donc de leurs gènes, survient par temps de disette, lorsque les ressources ne suffisent plus à nourrir la colonie, lorsque l’environnement leur est fortement hostile. Plus la proximité génétique est grande entre les amibes plus elles sont enclines à se regrouper, partager leur information génétique et à se sacrifier.

On peut voir à l’œuvre ici un mécanisme surement très similaire à ce qui s’est produit il y a plus d’un milliard d’années lors de l’apparition des organismes multicellulaires dont nous sommes issus. Nous disposons encodée dans nos gènes la sélection de parentèle.

Nous avons vu que la compétition fait le tri parmi les individus (ou entreprises) en sélectionnant ceux qui sont les mieux adaptés. Dans des périodes d’instabilités (ou de forte croissance) où l’environnement évolue rapidement, ce sont les individus les plus adaptables qui survivent (s’enrichissent). Par contre les individus les mieux adaptés a un environnement précis sont en danger quand l’environnement change, car adaptés à un environnement qui n’existe plus. C’est la différence entre adapté et adaptable. Lorsque l’environnement est plus stable, les individus (les entreprises) peuvent mettre en place des stratégies de coopération qui demandent un long effort et du partage d’information (de la confiance).

On comprend ainsi la stratégie des amibes du terreau :

Lorsque la nourriture est rare, la population stagne et l’environnement reste stable. Pour arriver à progresser, nos amibes choisissent une politique de solidarité : elles s’auto-organisent en mettant toutes leurs ressources génétiques en commun et coopèrent afin de s’adapter au mieux à la situation actuelle. Par contre, lorsque la nourriture est abondante, la population augmente exponentiellement, entraînant une évolution rapide de l’environnement. Pour faire face à cette évolution rapide, nos amibes choisissent une politique individualiste : la division cellulaire. Chacun garde son héritage génétique, mais tous ces héritages sont en compétition. La sélection naturelle choisira parmi eux, ceux qui sont les mieux adaptés à la nouvelles situation.

Fin de la partie I, la suite ici.

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This entry was posted on 16 février 2015 by in Biomimétisme and tagged , , , , .