Nous le savons tous maintenant : le réchauffement climatique auquel l’humanité fait face est dû à deux facteurs fondamentaux :
Nos actions additionnées entraînent le bouleversement du climat planétaire qui entraine une chute de la biodiversité par la disparition d’espèces animales et végétales. Le réchauffement climatique et la forte diminution de la biodiversité engendre la désertification. Ce schéma est logique et souffre peu de discussion. On entend encore certaines voix s’élever mettant en doute la responsabilité humaine, mais pour le reste de la chaîne de cause à effet, il y a peu de doute. Dans ce schéma logique de désertification, les troupeaux de bétails jouent un rôle clair dans la destruction de la couverture végétale. Les animaux domestiques piétinent le sol dénudé qui tourne en poussière et la faune indigène meurt de faim. C’est ainsi que disparaissent certaines espèces uniques, spécifiquement adaptées à la vie dans les régions semi-arides. La faune n’est plus nombreuse ni variée. Les forêts et les prairies se sont amenuisées sous l’effet des modifications climatiques et le processus s’est poursuivi avec l’accroissement des populations humaines. Les revenus de l’exploitation pétrolière ont permis d’agrandir les troupeaux et de mettre en œuvre de grands projets agricoles qui nécessitent d’énormes quantités d’eau. Bref, de nombreuses sources officielles et sérieuses identifient le surpâturage comme étant la cause de la désertification (voir UNESCO) amplifié par le réchauffement global.
La solution, bien sûr, c’est de stopper la pression de pâturage qu’engendrent les immenses troupeaux domestiques et laisser reposer la terre. C’est évident, si plus aucun animal ne broute et ne piétine les plantes, celles-ci vont repousser ! Pourquoi en discuter ? Pas besoin de faire des recherches poussées !
L’image ci-dessous montre l’état des prairies du Texas après 70 ans de politique de protection contre le pâturage, à droite, comparé aux terres surexploitées par les troupeaux, à gauche. Pas de différence ! Les herbes, les plantes ne repoussent pas quand on laisse les terres en jachères totales ! Ceci se produit en Amérique du Nord, mais on retrouve exactement le même phénomène en Afrique, en Australie et au Moyen-Orient. Dans les régions d’Afrique, la désertification avance même dans les zones où la mousson apporte d’impressionnantes quantités d’eau. Pas de reverdissement après le passage des pluies, que les troupeaux d’ovins et de bovins broutent les prairies ou pas ! D’ailleurs les hommes ont depuis fait migrer ailleurs leurs troupeaux, dans les zones encore vertes, mais le nombre de celles-ci diminue.
Alors, non, le surpâturage n’est pas la cause de la désertification !
Quelle est la leçon ? Quelle science se cache derrière cette certitude que les grands cheptels détruisent les prairies ? N’avons-nous pas trop simplifié nos raisonnements ? Comment souvent notre pensée n’est-elle pas naïvement linéaire ? Une cause engendre une conséquence proportionnelle, n’est-ce pas ?
Allan Savory, qui expérimente et parcourt le monde pour présenter ces résultats, pense que la source de la désertification, le dénominateur commun entre toutes ces zones devenues arides, c’est le management humain, ce management trop linéaire appliqué à la terre et à la nature en général. Or la nature ne fonctionne pas de manière linéaire mais en cycles, avec des boucles complexes. Allan propose de revoir nos concepts et de s’inspirer du fonctionnement de la nature. Avant le contrôle et l’exploitation par l’homme des terres, disons pendant les différentes périodes qui ont précédé l’holocène, il y a plus de 8000 ans, la biodiversité dans les régions correspondant au Sahara, au Mexique, au sud-ouest des Etats-Unis, à l’Eurasie etc. était forte. D’immenses troupeaux d’herbivores y paissaient et s’y reproduisaient. On pense aux troupeaux de bisons, de buffles, d’éléphants, de gazelles etc. Des scientifiques ont établi par des fouilles qu’il y a 10 000 ans le Tchad était vert, couvert de grands lacs avec une forte biodiversité végétale et animale. Ce que nous n’avons pas compris, nous dit Allan, c’est que plantes et animaux ont évolué ensemble. Toutes les espèces animales et végétales se sont adaptées les unes par rapport aux autres. Si vous supprimez les grands herbivores, l’équilibre dynamique est rompu. Les plantes adaptées aux herbivores et à leur impact sur le sol, ne sont plus adaptées à la nouvelle situation : leur absence.
Quel est donc le mécanisme derrière l’écosystème : sol + plantes + hordes d’herbivores ?
Il faut d’abord comprendre ce qu’il advient aux plantes en fin de vie. Le cycle naturel est le suivant :
L’étape importante est celle de la dégradation. En l’absence d’herbivores, la plante morte se dégrade par un processus d’oxydation. Ce processus ne permet pas un retour du carbone de la plante vers le sol. Le processus qui permet à la vie de se perpétuer, c’est la décomposition soit par digestion animale (tous animaux confondus) soit par piétinement. On trouve, dans les zones arides, des plantes mortes, à l’aspect gris, typique de l’oxydation. Ces plantes sont mortes il y a des décennies et s’oxydent depuis. L’oxydation est un processus très lent ! Le carbone, sous forme de CO2 est rejeté principalement dans l’air. Le cycle présenté ci-dessus est stoppé et remplacé par un cycle beaucoup plus long et peu propice à la vie.
Mais me direz-vous, la présence ou l’absence de bétails ne change rien à l’affaire comme nous l’avons constaté au Texas ! Alors où est la subtilité ? Elle réside dans la différence entre des troupeaux sauvages d’herbivores qui ne sont pas statiques, qui se déplacent pour rechercher de nouvelles zones de nourriture ou pour échapper aux prédateurs et pour ne pas rester là où ils ont accumulé leurs déjections, et puis des troupeaux domestiques qui restent des semaines au même endroit en ayant un fort impact sur les sols et la végétation sur une très longue période. Les troupeaux sauvages mangent et piétinent les plantes, puis répandent leurs déjections durant quelques jours, puis migrent. Le piétinement et la digestion animale permettent la décomposition de la matière végétale et l’enfouissement du carbone et de l’azote. Ceci effectué, les animaux doivent quitter la zone pour permettre le renouvellement de la flore sur les terres enrichies en matière organique. C’est donc le management humain du bétail, marqué par la sédentarisation et le manque de biodiversité animale, qui est la cause de la désertification. La couche végétale disparaît, l’humidité n’est plus retenue, les terres deviennent arides et le climat de la zone se réchauffe.
La suite de causalité est donc la suivante :
Action humaine => chute de la biodiversité => désertification => réchauffement climatique
Et le réchauffement aggrave la baisse de biodiversité fermant ainsi le cycle.
La vie crée les conditions propices à la vie. Diminuez la vie et sa diversité, vous créez des conditions défavorables à la vie.
Néanmoins l’action humaine est nécessaire pour changer ce cycle et rétablir celui qui prévalait avant l’invention, pendant la préhistoire, du parcage des troupeaux. C’est ce qu’ont mis en place Allan Savory et ses équipes, en Afrique du Sud notamment et en coopération avec les habitants des zones en voie de désertification. Il a réintroduit de grands troupeaux de bovins domestiques sur les terres arides, laissant les animaux paître et avoir un impact fort sur les terrains. L’important étant de laisser le bétail seulement quelques jours. La période de repos sans bétail suivant ce traitement se compte en années. Allan reproduit ainsi le cycle naturel en remplaçant seulement la cause du déplacement des troupeaux. Ils ne migrent plus de leur propre chef ou chassés par des carnivores, mais déplacés par les hommes. L’image ci-dessous illustre l’évolution de la végétation après le traitement par ce procédé.
Éloquent ?!
Et voici un autre succès obtenu par Allan :
« C‘est fascinant ! » dit Allan Savory, « quand vous imitez la nature, ça marche ! ».
Le nouveau management des terres se réalise conjointement et de manière interconnectée avec les systèmes écologiques, économiques et culturels locaux. C’est une vision globale qui est nécessaire pour obtenir des résultats gagnants-gagnants pour les hommes et la nature. Le renversement de la désertification, le rétablissement du cycle de l’eau, le retour de la biodiversité et pour les habitants l’autosuffisance alimentaire et le retour de la prospérité nécessitent une vue globale et éco-systémique. Nous avons des buts économiques et sociologiques. Ceux-ci doivent s’intégrer au cycle naturel. Nous devons pour cela comprendre le fonctionnement de la nature en incluant l’évolution et l’adaptation des espèces. Puis, il est nécessaire de rétablir les cycles perturbés par l’action humaine en imitant la nature pour diminuer notre impact et réaliser nos buts.
Pour conclure, je trouve très intéressant que le seul outil efficace contre la désertification et le réchauffement climatique ne comporte aucune technologie avancée. De simples troupeaux d’herbivores qui piétinent la terre et du repos ! Voilà une belle leçon d’humilité enseignée par la nature ! Néanmoins, pour résoudre notre problème de surconsommation de pétrole, la voie de la technologie est peut-être la seule, et la nature peut nous montrer le chemin !
Allan Savory a donné un exposé au TED de Californie en février dernier que je recommande (sous-titrage en français disponible). Il aborde également le problème de l’utilisation en Afrique des techniques de brulis aggravant sérieusement le processus de désertification, le problème étant que la combustion comme l’oxydation ne permettent pas un retour du carbone dans le sol, sujet que j’aborderai dans un prochain article.
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