En cette période d’approche des fêtes de fin d’année voici un article sur le foie gras que j’avais publié il y a plusieurs mois et que je ré-édite maintenant.
D’après un exposé du chef cuisinier Dan Barber :
Je ne dis pas que c’est irrationnel d’être opposé au foie gras. Les raisons habituelles de cette opposition se résument à l’alimentation forcée, au gavage des oies. On leur fait ingurgiter en quelques semaines plus de graines qu’elles en auraient mangées pendant leur vie entière. La taille de leur foie grossit 8 fois ! Ce n’est pas la plus jolie image d’une agriculture respectueuse de l’environnement et des animaux. Le problème, pour les chefs cuisiniers et les consommateurs, c’est que c’est foutrement délicieux ! C’est doux, c’est soyeux, c’est onctueux ! Cela transforme n’importe quel plat en délice !
Je voudrais vous parler maintenant d’Eduardo Sousa. Eduardo fait ce qu’il appelle un foie gras naturel. Qu’est-ce qui pourrait être naturel à propos du foie gras ?
Tirer profit du fait que, quand les températures chutent en automne, les oies et les canards se gorgent naturellement de nourriture pour se préparer à la rudesse de l’hiver. Le reste de l’année, ils sont libres d’errer sur les terres d’Eduardo et de manger ce qu’ils veulent. Depuis 1812, Edouardo et ses ancêtres, ont toujours pratiqué ces méthodes sans attirer l’attention. Enfin, jusqu’en 2007, où Edouardo gagna le prix Coup de Cœur, en France, au Salon n°1 Mondial de l’Alimentation, le SIAL. Soit le premier prix au sein même du temple de la gastronomie, la France ! Gros, gros problème ! Cela a réellement énervé les producteurs français. Ils ont accusé Edouardo de tricherie et d’avoir payé les juges. Pas la moindre preuve n’a pu être trouvée. Alors, il l’on accusé de ne pas faire un vrai foie gras véritable, car il ne gave pas ses oies ! Donc par définition, il mentait et devait être disqualifié. Ma foi, l’idée est recevable. Recevable jusqu’à ce qu’on s’intéresse de près à la ferme d’Edouardo dans l’Estrémadure, à 80 km de Séville.
Le système est à première vue très complexe, et en même temps, comme toute chose fascinante dans la nature, c’est incroyablement simple ! Edouardo dit: « Le travail de ma vie est de donner aux oies ce qu’elles veulent ». Edouardo aime ses oies, il les cajole ! Il est l’homme qui murmure à l’oreille des oies. Si vous rester tranquille, sans faire de bruit, les oies viennent près de vous de l’autre côté de la clôture. La clôture ! La conception que nous en avons est totalement arriérée pour lui. L’électricité sur les fibres de verre de sa clôture est seulement à l’extérieur de celle-ci. Il l’a inventé. Normalement vous électrifiez l’intérieur de la clôture pour empêcher les animaux de quitter l’enclos. D’après Edouardo, les oies se sentent manipulées quand elles sont emprisonnées dans l’enclos. Donc, il s’est débarrassé de l’électricité à l’intérieur mais l’a gardée à l’extérieur pour protéger ses oies contre les prédateurs. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Les oies se sont mises à manger environ 20% de nourriture en plus et ainsi alimentent leur foie. Edouardo a créé un petit paradis pour ses oies.
Sur ses terrains, il a des figuiers et des oliviers. Les oies mangent ce qu’elles veulent des récoltes. Eduardo pourrait se faire plus d’argent en vendant tous ses fruits plutôt qu’en vendant son foie gras, mais ça lui est égal. Les oies mangent à peu près 50% de la récolte, les autres 50%, il les prend, les vend et se fait de l’argent dessus.
Le marché du foie gras a des règles. Un foie gras se doit d’être jaune et brillant ! C’est l’indication que le foie gras est top ! Mais comme Edouardo ne force pas ses oies à avaler d’énorme quantité de maïs, ses foies gras sont plutôt gris. Enfin, ils l’étaient ! Il a trouvé cette plante sauvage appelée Lupin Arborescent dont les fleurs sont d’un jaune intense. L’Estrémadure en regorge. Il en a semé plein sur les terres de son domaine. Et les oies adorent le Lupin Arborescent, les graines surtout. Et quand elles mangent ces graines leur foie devient jaune, d’un jaune éclatant ! Un jaune digne des meilleurs foies gras de France !
Quand vous êtes sur ses terres près des enclos vous pouvez parfois entendre des claps sonores produits par les oies. Si vous vous cachez rapidement, vous pouvez observer un phénomène fascinant. Au-dessus de vous, il y a un escadron d’oies sauvages et les oies de l’enclos appellent en claquant du bec leurs congénères sauvages. Et ses oies sauvages, détournent leur vol, se mettent en approche circulaire et se posent auprès des oies d’Edouardo. On pourrait penser que les oies d’Edouardo ont appelé les oies sauvages pour leur dirent « faites nous une petite visite amicale». Non, non, non ! Les oies sauvages sont venues pour rester, pour s’installer ! Normalement l’ADN d’une oie lui indique de voler vers le sud en hiver, non ? Et puis, elles reviennent dans le nord pour y passer l’été ! Ce sont les vols migratoires des oies. Eh bien non! L’ADN des oies est programmé pour chercher les conditions qui sont propices à la vie, propice à l’épanouissement. Les oies sauvages les ont trouvées ici chez Edouardo. Elles se sont arrêtées la et elles s’accouplent avec les oies domestiques. Brillant, non ? Imaginez que des sangliers passent près d’une ferme de porcs domestiques, et que ceux-ci leur disent « ici c’est le paradis, restez ! » et décident de le faire !
Mais quel goût à finalement le foie gras produit par Edouardo ? Inutile de dire qu’il a un goût extraordinaire. En tous cas les critiques honnêtes sont unanimes. Dans son foie gras on peut sentir des herbes et des épices. Un goût léger d’anis étoilé aussi. Sauf que la recette d’Edouardo c’est : Je prends le foie gras et je le mets dans un pot hermétique pour le confire. Rien d’autre. Pas de sel, de poivre, d’huile, d’épice ou d’anis étoilé. Rien. Alors comment ? Eh bien Edouardo a placé sur ces terrains des plantes à forte teneur en sel, des poivriers sauvages et des plantes aromatiques dont ses oies raffolent. Et toutes ces saveurs se retrouvent dans le foie gras !
Il faut savoir que le gavage des oies remonte à l’Égypte antique. Les hébreux recherchaient une alternative dans leur cuisine au “schmaltz”, la graisse de poulet. Ils ont commencé à utiliser le foie des oies qui se gavaient naturellement pour préparer leur hivernage. Les pharaons ont eu vent de cela, on demandé à gouter et ils en sont devenus raide dingue d foie gras ! Ils ont ordonné d’en avoir toute l’année, et pas seulement en hiver ! Ils voulaient que les hébreux fournissent tout le monde, tout le temps. Les hébreux, qui ont eu peur pour leur vie, ont dû trouver une idée ingénieuse pour satisfaire les vœux des pharaons. Et ils ont inventé le gavage forcé. Ils ont inventé le gavage dans un moment de peur pour leurs vies ! C’est l’histoire du foie gras. Et si vous y réfléchissez, c’est aussi l’histoire de l’agriculture industrielle. C’est l’histoire de ce que nous mangeons aujourd’hui. Méga-fermes, élevage en batterie, ajouts chimiques, transports longues distances, bio-ingénierie, c’est une insulte à l’histoire et aux lois fondamentales de la nature. Que nous regardions les élevages de bœufs, de porcs ou de poulets, que nous regardions la monoculture ou la pêche intensive, nous voyons les conséquences du forçage de la nature. Prendre plus, vendre plus, gaspiller beaucoup !
Nous devons adopter une nouvelle conception de l’agriculture. Nous devons arrêter de prendre la planète pour source de profit, comme lorsqu’une boutique est mise en liquidation : On casse les prix, tout doit disparaitre !
Nous devons regarder ce que font des fermiers comme Edouardo. Des fermiers qui observent la nature pour trouver des réponses, des solutions. Cessons d’imposer nos solutions à la nature. Comme le dit Janine Benyus, fondatrice de la discipline du biomimétisme, « Nous devons écouter les instructions de la nature. La nature sait ce qui marche, ce qui est approprié, ce qui dure. » Et quand vous suivez les principes de fonctionnement du vivant, vous êtes récompensé. Comme Edouardo, vous obtenez le meilleur foie gras naturel au monde !
Janine Benyus : Biomimétisme : Quand la nature inspire des innovations durables